« Salut Bonjour » et la « diversité corporelle »

La populaire émission matinale « Salut bonjour » abordait hier le sujet chaud de la diversité corporelle

Huit minutes 30 secondes pour parler d’un sujet en ondes. En télévision, c’est du grand luxe.

Sauf que…

Note : les passages en italique sont des passages transcrits intégralement du segment télé.


“Me semble qu’en 2019, le message commence à passer. Me semble qu’on en parle tellement, qu’on est ouverts sur ce sujet-là…”

Malheureusement, le message ne passe pas tant que ça. Les gens ne sont pas si ouverts qu’on aimerait croire… et les exemples pleuvent.

As-tu parlé à Safia Nolin cette semaine ?


“Au Québec, y’en a des bons exemples aussi de gens qui s’engagent. Je pense notamment à Phil Roy…”

Oui, au Québec, il y a d’excellents exemples. Phil Roy, à l’époque où il a publié la photo montrée et sa vignette, en était un. Mais depuis qu’il fait l’éloge de ses 80 lbs en moins, il n’est peut-être plus l’exemple parfait. Comme on en parle dans la page destinée aux allié(e)s, valoriser la perte de poids est, en soi, un geste grossophobe.

Dans le cas de Phil Roy, ça relèverait de la grossophobie internalisée (on en parle sur « C’est quoi, la grossophobie ?) puisqu’on parle ici d‘une personne grosse qui contribue, par ses gestes ou ses comportements, de façon consciente ou non, à la stigmatisation des personnes grosses.


“Plus les gens vont en parler, plus les gens vont s’assumer, plus on va aller dans la bonne direction.”

Sauf qu’on en parle déjà. On est plusieurs à le faire d’ailleurs.

Le vrai problème à l’heure actuelle, c’est plutôt que les gens qui représentent vraiment la diversité corporelle, les gens qui s’assument dans cette perspective-là, se font allègrement rentrer dedans parce qu’ils/elles le font.


“En 1992, cette plantureuse Anna Nicole Smith qui avait fait cette campagne-choc pour Guess. Mon dieu, on en a tellement, tellement parlé… Donc cette fille-là, elle a pavé la voie pour des filles comme Ashley Graham…”

Pas exactement, en fait. Smith était modèle pour Playboy à l’époque. (Hefner n’était pas exactement réputé pour son appréciation des femmes rondes.) Et la rumeur veut qu’elle mesurait 5 pieds 11 pouces (1m80) et pesait 155 lbs (70 kg). Pour utiliser un outil populaire (mais pas nécessairement bon), on parle ici d’un IMC de 21.6. Tout ce qui est de plus normal.

(Je dis « la rumeur » parce que ma source n’est pas idéale. Mais on s’entend que Smith n’était pas près d’être taille plus dans les années ’90.)


“La marque italienne Benetton, qui a été très à l’avant-garde parce que, non seulement c’était la diversité des races, mais aussi la diversité corporelle…”

La diversité des races est une petite partie de la diversité corporelle. Dans la photo montrée, on voit juste des enfants de taille « standard ». Pas de gros. Ni personne avec un handicap ou une maladie visible.

On ne peut donc pas vraiment parler de diversité corporelle.


“Y’a Blush, une compagnie québécoise, une compagnie de lingerie, qui a sorti un hashtag au mois de juillet #ImWithBlush. Donc on encourage les femmes, les cheveux en bataille, grosses cuisses, petites cuisses, seins pendants, gros seins, voluptueuses, peu importe. On les encourage à venir poster sur le site avec le hashtag.”

Précision importante : les tailles de la compagnie s’arrêtent à XL. Tout ce qu’il y a de plus… standard.


“[En parlant de “Mon fit, mon kit”, la compagnie québécoise de styliste] Y’a une nouveauté. C’est un outil d’analyse de la silhouette. […] On va analyser, avec une fiche personnalisée, votre silhouette. Les atouts, les coupes de vêtements qui sont à privilégier… Des trucs et des conseils aussi, spécifiques pour se mettre en valeur. […] L’idée, c’est de mettre l’emphase sur ce qu’on a de bien…”

… et de cacher ce qui n’est pas bien ? Ah, les fameux vêtements « flatteurs » !

Une des composantes de la grossophobie – notamment de la grossophobie internalisée – est justement de vouloir cacher les parties du corps jugées « indésirables »…


“Justement en ce jeudi 15 août, les ados probablement sont pas encore à l’école, ça c’est sûr, nous écoute peut-être à ‘Salut Bonjour’ Je voudrais m’adresser à toi qui, peut-être comme ma fille, se pose des questions sur les normes corporelles qui sont véhiculées par notre société. Peut-être que, comme ma fille, t’as beaucoup de pression sur tes épaules… J’espère que ma modeste petite chronique d’aujourd’hui t’as aidé à enlever le poids de cette pression que tu as… »

Pas vraiment, malheureusement. Pas quand la « diversité » présentée est principalement des nuances du standard.


L’objectif de la rubrique « Sauf que… » ?
Faire des études de cas de situations réelles et émanant de la culture populaire qui, après réflexion, peuvent envoyer des messages nocifs et stigmatisants sur les personnes grosses. Ces études de cas expliqueront et décortiqueront ces messages et expliqueront en quoi ils peuvent s’avérer grossophobes.
Le but ici n’est pas de faire le procès ou de créer un boycott des personnalités, entreprises ou projets étudiés ; la grande majorité des cas analysés émanera sans doute d’intentions et/ou d’objectifs tout à fait honorables.
Cet exercice est plutôt mené afin de démontrer en quoi une intention noble n’est pas toujours suffisante pour éviter les pièges de la grossophobie « socialement acceptable » et de ses messages nocifs, non seulement pour les personnes grosses, mais pour l’ensemble de la population.

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À propos de l'auteur(trice)

Edith Bernier

Fondatrice de Grossophobie.ca - Infos & référence, conférencière et consultante, elle lutte activement contre la grossophobie depuis 2017. Elle a écrit sur les préoccupations des femmes taille plus en voyage (sur La Backpackeuse taille plus) pendant 6 ans.

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