Je suis grosse.

Après avoir tergiversé pendant des années à me définir comme étant curvy, ronde, voluptueuse, costaude ou bien en chair. Parce que ça faisait moins mal, à moi et aux autres, de me présenter ainsi. De jouer sur les euphémismes pour se donner bonne conscience. Et parce que la charge négative du terme “gros(se)” demeure, à ce jour, plus lourde que je ne le serai jamais.


Je suis grosse.

Comme une maison ou une voiture peuvent être grosses, c’est-à-dire que je ne suis pas de petite taille. Je suis grosse comme on est rousse ou comme on a les yeux bleus. De façon purement descriptive et surtout, sans sous-entendu négatif. 


Je suis grosse. 

Si vous continuez de croire que c’est (encore) un mauvais mot, je vous invite à relire les définitions des mots obésité et surpoids qui ne font rien pour aider à déstigmatiser les corps des personnes dont on a déterminé que le poids est “trop élevé”. Il suffit de bien peu de sensibilité, pour comprendre mon rejet de ces appellations, associant unilatéralement et inévitablement ma silhouette à la maladie et à une mort prématurée. (Des affirmations de plus en plus questionnées, voire démenties, par la science, d’ailleurs…)


Je suis grosse.

Mais quand on veut parler de grossophobie dans les médias, ce sont si rarement des personnes qui me ressemblent qui sont invitées à prendre la parole. Tout le monde veut savoir ce que c’est d’être gros(se), mais prendre le temps de le demander aux personnes visées, c’est trop compliqué ? Ou pas crédible ? Parler de grossophobie sans personnes grosses, c’est parler féminisme entre hommes et racisme entre Blancs.


Je suis grosse. 

Vous avez peut-être eu un grincement de dents à cette affirmation. Si ça vous dérange que je me désigne ainsi, ce n’est plus mon problème. Parce qu’il n’y a rien d’intrinsèquement négatif à ce mot, en dehors d’un restant de culpabilité judéo-chrétienne à laquelle on semble beaucoup trop s’attacher dans une société qui se dit et se veut tellement laïque.


Je suis grosse. 

Et mon corps me force dans une situation de citoyen(ne)s de seconde classe. Qu’il soit question de s’habiller, de chercher un emploi, d’obtenir des soins de santé ou de m’asseoir quelque part. Même lorsque je veux m’acheter un vélo d’exercice, on me rappelle rapidement qu’il existe une fat tax si on pèse plus que 250 lbs et qu’on a besoin d’acheter de nombreux items banals. Sortir prendre une marche dehors n’est pas une option pour plusieurs, notamment à cause du poids du regard des autres. Il faut avoir les moyens de bouger, comme le suggère la santé publique, lorsqu’on est une personne dont le poids sort de la “norme”. Sans parler des gyms, où plusieurs voudraient sans doute m’envoyer de force, mais dont les équipements ne font pas… le poids.


Je suis grosse.

Et ma grosseur est publique. La seule façon de la cacher, de m’éviter à quel point les gens peuvent être lourds à mon égard, ce serait de me cacher.


Je suis grosse. 

Mais l’Office québécois de la langue française dit que la grossophobie, c’est la discrimination à l’égard des personnes “dont le poids est supérieur à la moyenne” 1. Sauf que, selon Statistiques Canada, les personnes dites “obèses” et en “embonpoint”, représentent près des deux tiers de la population canadienne à l’être 2. Je fais partie de la moyenne. Pourtant, je demeure traitée comme si les personnes comme moi n’existaient pas. Ou pire encore : comme si on ne devait pas exister.


Je suis grosse.

Et, avant qu’on m’accuse de faire “la promotion de l’obésité”, sachez que je ne souhaite à personne d’être ou de le devenir gros(se). Parce que c’est vraiment pesant de se faire constamment rappeler qu’on prend trop de place… alors qu’on voudrait plus souvent qu’autrement être invisible.

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  1. Fiche terminologique pour grossophobie, site web de l’Office québécois de la langue française (OQLF)
  2. Feuillets d’information sur la santé, 2018 – Embonpoint et obésité chez les adultes, site web de Statistiques Canada
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À propos de l'auteur(trice)

Edith Bernier

Fondatrice de Grossophobie.ca - Infos & référence, conférencière et consultante, elle lutte activement contre la grossophobie depuis 2017. Elle a écrit sur les préoccupations des femmes taille plus en voyage (sur La Backpackeuse taille plus) pendant 6 ans.

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