Question de vocabulaire…

Le Québec n’est pas la seule contrée francophone où les voix s’élèvent de plus en plus afin de lutter contre la grossophobie. Les personnes grosses de France se font aussi de plus en plus entendre, bien que le nombre de personnes dites « obèses » là-bas est de moitié inférieur au nôtre (autour de 17% en France vs. 26-28% au Canada).

Pour preuve que la grogne monte chez nos compatriotes français(es) : Gabrielle Deydier, autrice d’On ne naît pas grosse, demeure toujours aussi sollicitée par les médias franco-européens, un plus plus de 4 ans après la sortie de son essai. (Elle est aussi derrière le documentaire On achève bien les gros, diffusé sur la chaîne Arte, sorti il y a 1 an.)


Il existe un pseudo-consensus anglo-franco, au Canada et aux États-Unis, quand on désigne les personnes grosses, soit de privilégier des appellations humanisantes et/ou non médicales.

Mais qu’entend-on par « appellations humanisantes » ?

Éviter de dire « un(e) gros(se) »

À la place, on utilisera « des personnes grosses », « un homme gros », « une femme grosse », etc.

Proscrire les termes médicaux

« Embonpoint ». « Obésité ». « Surpoids ». « Morbidité » et ses termes dérivés. Références à l’IMC. Notions de « poids santé »… Autant de termes qui médicalisent la grosseur des individus. Cette pathologisation sous-entend qu’un poids au-delà d’une norme « x » – généralement basée sur l’IMC – est un problème. Un problème qu’il faut régler. Ou encore, cela envoie le message que le corps gros devrait être vu comme une situation temporaire – l’associant, une fois de plus, au « laisser aller » – et non pas comme une finalité.

« L’obésité maladive »

Dans la même veine que les termes médicaux, présenter un poids qui dépasserait un IMC « x » comme étant une maladie, même en l’absence de symptômes autres que le poids en soi, contribue à la grossophobie et à sa pathologisation.


Chez nous, on remarque un certain désir de faire preuve de sensibilité dans l’utilisation de ces termes. Et ce, même si on y a encore (trop) grandement recours, vu leurs définitions « standards », notamment en santé et en science. Mais on sent quand même un désir d’être le moins stigmatisant possible chez les professionnel(le)s de la santé et chercheur(euse)s d’ici qui sont allié(e)s/sensibilisé(e)s à la question.

Dans les médias, on m’a régulièrement avoué ne pas savoir sur quel pied danser, sur la question mais vouloir bien faire. On commence timidement à (bien) utiliser le terme gros(se)… même si c’est parfois avec un petit grincement de dents.


La situation en France

Or en France – et possiblement ailleurs en Europe francophone – ces appellations humanisantes ne semblent pas avoir pris racine. (Du moins, pas pour le moment.) Et dans certains cas, on insiste à l’utilisation d’appellations comme « les grosses ». (Je l’ai appris à mes dépens après avoir suggéré à un compte Instagram anti-grossophobie de la région toulousaine de faire appel à des désignations plus humaines… Ce à quoi on m’a répondu en me traitant de rageuse et de donneuse de leçons…)

Même chose du côté des gens du domaine de la santé qui œuvrent dans la déstigmatisation des questions de poids. On nous sert les termes « obésité » sans égard aux sensibilités ou à la médicalisation que cela représente.

On y associe aussi souvent le poids élevé à des problèmes liés au comportement. (Ça peut être le cas, mais aussi souvent? J’en doute.) Les professionnel(le)s de la santé de ce domaine s’associent aussi à différents types d’interventions psychologiques. (Encore une fois, un lien peut exister, mais j’ai mes réserves sur la prépondérance de ce dernier…)  Considérant à quel point les questions de santé psychologiques demeurent taboues (malgré certaines avancées), tout ça n’est rien pour contribuer à amoindrir le fardeau des stéréotypes qui afflige déjà les personnes grosses.

En France, dire « obésité », ça ne te classe pas chez les méchants.
En fait, nous on part de tellement loin qu’on n’est pas sur les mêmes revendications exactement.

-Gabrielle Deydier, autrice & documentariste française

Gabrielle et moi ne partageons pas les mêmes pratiques dans l’utilisation des termes. Si je n’ai jamais caché le fait que nous sommes devenues amies avec les années, il nous arrive encore régulièrement de ne pas être d’accord sur certains choix de vocabulaires. (Note : le titre de son docu, On achève bien les gros, n’est pas un manque de sensibilité mais plutôt le désir de faire un clin d’oeil à On achève bien les chevaux…)

Nos milieux d’actions respectifs ont-ils teinté ces choix ? Fort possible. La situation des luttes pour les droits des personnes grosses est loin d’en être au même point dans nos régions respectives. Ce qui motive certains choix. Dont la nécessité de parfois utiliser des termes qui parlent à tout le monde, comme celui « d’obésité », un concept (malheureusement) plus familier à une majorité de la population, tant au Québec qu’en France.


Mollo sur la gâchette…

Ce qui m’amène à rappeler qu’il ne faut pas nécessairement jeter la première pierre à quiconque utiliserait ces appellations stigmatisantes. Pendant longtemps, je l’ai fait moi-même. Je ne crois pas mériter d’être cancelled pour autant…

Au-delà des malaises que ces termes peuvent causer, il ne faut pas nier l’intention de la personne qui les dit. J’aurais tendance à pardonner une personne de bonne foi qui dit « obésité » mille fois plus vite que j’accorderais le bénéfice du doute à un personne grossophobe qui dirait « personne grosse ».


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À propos de l'auteur(trice)

Edith Bernier

Fondatrice de Grossophobie.ca - Infos & référence, conférencière et consultante, elle lutte activement contre la grossophobie depuis 2017. Elle a écrit sur les préoccupations des femmes taille plus en voyage (sur La Backpackeuse taille plus) pendant 6 ans.

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