DentalSlim : Se faire clouer le bec

L’Université d’Otago en Nouvelle-Zélande annonçait en grande pompe le 28 juin dernier que ses chercheurs avaient développé le DentalSlim Diet Control, qui serait « une première mondiale en matière de dispositif de perte de poids »1.


Les personnes grosses, encore indignes de confiance….

Selon le professeur Paul Brunton, chercheur principal et Pro-Vice-Chancelier des sciences de la santé de l’université Otago, « L’obstacle principal des gens dans une perte de poids couronnée de succès est la conformité et cela [le DentalSlim Diet Control] les aide à développer de nouvelles habitudes, leur permettant d’adhérer à une diète faible en calories pour un laps de temps. Ça fait vraiment démarrer le processus. » 2

En soulignant que les personnes et patient(e)s gros(ses) ont tendance à ne pas se conformer au traitement qu’on leur recommande, on persiste à taper sur le clou de la responsabilité individuelle en matière de poids. Du même coup, c’est comme si on sous-entendait que le poids semble être inversement proportionnel à l’adhérence des individus à leur cheminement médical/thérapeutique que les médecins leur propose. Des médecins qui, rappelons-le, sont aussi malheureusement que fréquemment grossophobes…


Une micro-étude

Ce sur quoi on met beaucoup moins l’accent, c’est que les « conclusions » quant à « l’efficacité » du DentalSlim sont basées sur une étude très limitée. Seulement 7 personnes ont participé à l’étude de l’efficacité de l’appareil, et 6 d’entre elles ont terminé le processus. Dans tous les cas, il s’agissait de femmes d’origine européenne/caucasienne, considérées comme étant des « healthy obese participants »3

Les participantes auraient perdu un poids moyen de 6,36 kgs (14 lbs) pendant leur utilisation du DentalSlim. Ce qui n’est pas vraiment étonnant, si on considère qu’on leur fournissait un apport calorique de 1200 calories par jour. (Bien en deça des 2000 à 3000 calories recommandées quotidiennement par le Guide alimentaire canadien.)

En fait, 1200 calories par jour, c’est la recommandation du ministère de l’Agriculture des États-Unis pour… un enfant de 8 ans.


Tout d’un coup, ça se peut, « obèse et en santé » ?


Une sécurité discutable

Les personnes ayant participé aux essais du DentalSlim possédaient une clé qui leur permettait de se « déverouiller » la bouche, en cas de besoin. Clé qu’on exigeait qu’elles portent en tout temps. Une personne de leur choix a aussi été formée pour savoir comment désactiver les puissants aimants de l’appareil. (En cours d’utilisation, l’appareil permet d’ouvrir la bouche d’environ 2 mm.) Cette composante est présentée comme une véritable innovation en comparaison avec l’ancêtre de cette méthode de perte de poids, le « brochage des mâchoires », utilisé jusque dans les années ’80.

Sauf que rien ne garantit que la personne qui porte le DentalSlim sera en état de désengager le mécanisme, lorsque requis. Sera-t-elle trop paniquée ? Blessée ? Inconsciente ? Quant à la personne formée en cas de besoin… rien ne certifie qu’elle sera présente si nécessaire…


Problèmes bucco-dentaires

Au-delà des risques immédiats à la vie des personnes qui seraient tentées par le DentalSlim, de nombreuses autres questions demeurent sans réponse. On peut penser aux défis et aux risques en matière d’hygiène et de santé bucco-dentaire, par exemple (qui a d’ailleurs été soulevés par les participantes). On peut penser à l’inconfort causé par l’appareil. Ou bien à l’incapacité de se brosser les dents et/ou à poser d’autres gestes courants inhérents à la santé de la bouche et des dents (soie dentaire, soins des gencives, brossage de la langue, etc.).


Et plus encore…

Le développement et/ou le maintien d’une relation saine avec la nourriture n’a pas été évoqué non plus. Or, cela pourrait clairement être un défi après avoir été privé(e) d’alimentation solide pendant la durée du recours au DentalSlim…

Les participantes à l’étude ont aussi soulevé que le fait que l’appareil était visible avait affecté leur vie sociale et professionnelle. Le DentalSlim a aussi été une source de tension, d’embarras et de difficultés d’élocution4.


C’est beaucoup de problèmes quand on pense que l’étude a été menée auprès de seulement 6-7 personnes pendant 2 semaines…


Une solution prometteuse, vraiment ?

Lorsqu’on sait que les personnes grosses sont déjà sujettes à des problèmes de santé psychologique à cause de la discrimination dont elles sont victimes, doit-on vraiment en rajouter une couche, sous le prétexte de « les faire sentir mieux plus tard »? De les « guérir » ?

Pourtant, le Pr Brunton évoque « une alternative non-invasive, réversible, économique et attrayante, sans conséquences adverses » 5.

C’est à se questionner sur sa considération – voire sa compréhension – du vécu et de la souffrance des personnes en général. Et des personnes grosses en particulier.

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  1. Traduction libre – « a world-first weight-loss device »
  2. Traduction libre – “The main barrier for people for successful weight loss is compliance and this helps them establish new habits, allowing them to comply with a low-calorie diet for a period of time. It really kick-starts the process. » (Source)
  3. Traduction libre – « healthy obese participants »
  4. Brunton, P., Ratnayake, J., Bodansky, H. et al. An intraoral device for weight loss: initial clinical findingsBr Dent J (2021). https://doi.org/10.1038/s41415-021-3081-1
  5. Traduction libre – « It is a non-invasive, reversible, economical and attractive alternative to surgical procedures. The fact is, there are no adverse consequences with this device.” (Source)
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À propos de l'auteur(trice)

Edith Bernier

Fondatrice de Grossophobie.ca - Infos & référence, conférencière et consultante, elle lutte activement contre la grossophobie depuis 2017. Elle a écrit sur les préoccupations des femmes taille plus en voyage (sur La Backpackeuse taille plus) pendant 6 ans.

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