Pénélope McQuade : la dignité dans le refus

L’animatrice Pénélope McQuade a accepté de se prêter au jeu des Grosses entrevues. Celle qui s’est déjà élevée contre les commentaires que le public faisait sur son physique est loin d’être insensible au phénomène de la grossophobie. Elle a d’ailleurs déjà abordé le sujet à quelques reprises depuis le début de son émission sur les ondes d’ICI Première (Première chaîne radio de Radio-Canada).

Pour des raisons techniques, il n’a pas été possible de faire une captation audio de l’entrevue de qualité diffusable… 


Tu as, à quelques reprises, pris position pour la diversité corporelle et contre la discrimination liée à la taille et au poids. Notamment depuis que tu as commencé ton émission sur les ondes d’ICI Première. Qu’est-ce qui t’as motivée à prendre plus souvent position sur la question ?

Je pense juste qu’on aurait dû être rendu là depuis plusieurs années. Il y a comme un paquet d’enjeux qui arrivent dans l’actualité, qui arrivent sur la place publique. Tout d’un coup, c’est comme si le Québec venait de se réveiller pour ce qui est de beaucoup de discriminations. Il y a beaucoup de gens à qui on n’a pas donné la parole depuis tellement longtemps. Des gens de qui on a parlé, sans leur présence.

Ce sont des enjeux que je regarde aller depuis plusieurs années et là, tout à coup, il y a comme une conscientisation qui est plus généralisée. Alors, pour moi, c’est juste normal de contribuer à cette conversation-là, médiatiquement. D’utiliser les bons termes, quand on peut. Parce qu’évidemment, on n’est vraiment pas à l’abri, en ce moment, comme c’est tout un vocabulaire nouveau, plein de nouveaux enjeux. Donc on n’est pas à l’abri de faire un paquet d’erreurs. Je suis encore en train, dans mon émission, de découvrir plein de façons de parler adéquatement d’un paquet de gens. Et ça inclut les personnes grosses. 

Tout récemment, il y a eu la journée internationale de lutte contre l’obésité. Il n’y a à peu près aucune personne grosse qui a parlé dans les médias dans le cadre de cette journée-là. Est-ce que ça confirme ce feeling que tu as qu’on n’est pas invité(e)s à la table ? 

C’est vrai que c’est ce que je vois en ce moment, quand tu dis “on n’invite pas nécessairement les gens dont il est question à la table” pour discuter des enjeux. Ce que je vois, c’est que les réseaux sociaux, les pages Facebook, les sites de militant(e)s sont pris d’assaut par un discours et les médias traditionnels sont pris d’assaut par un autre discours. Il y a une cohabitation qui ne semble pas être simple mais j’ai comme l’impression, du côté médias traditionnels, de mon côté à moi, je sens que les choses bougent quand même assez vite. Il y a une bonne conscientisation qui s’est faite. Je n’ai pas l’impression qu’on va attendre un autre 5-10 ans avant d’avoir une mixité et une diversité de voix sur ces sujets-là. Qu’on va recadrer effectivement la conversation pour avoir les gens de qui on parle autour de la table quand on en parle. 

Parce que c’est pas vrai que parce qu’on parle plus de grossophobie dans les médias que les problèmes arrêtent sur le terrain. Pas du tout, même. Et il y a d’ailleurs ce danger-là de penser que tout est réglé parce qu’on en parle.

J’ai tendance à être plutôt optimiste. Le danger, c’est qu’en ce moment, on est dans une prise de conscience que je dirais plutôt aigüe ; le risque, c’est qu’on atteigne un plateau. Ou même qu’il y ait un backlash. Je me rappelle quand on a parlé du mouvement #MeToo / #MoiAussi, il y a deux ans, j’entendais déjà, au bout de 3-4 mois “Ça y est, on en a assez parlé. On n’est plus capable d’en entendre parler.” Et je me disais, mon dieu, des décennies et des décennies d’invisibilité pour se faire dire qu’au bout de 3 à 6 mois que c’est assez, on en a déjà parlé. C’est le danger. C’est vrai que c’est peut-être un peu optimiste de dire que dans 5 ans, on n’en sera plus là. Le défi, ça va être de passer à travers cet espèce de plateau où on va avoir l’impression que, juste parce qu’on en parle, la réalité s’en trouve aussi modifiée. Parce que c’est pas vrai que parce qu’on parle plus de grossophobie dans les médias que les problèmes arrêtent sur le terrain. Pas du tout, même. Et il y a d’ailleurs ce danger-là de penser que tout est réglé parce qu’on en parle.

Est-ce que tu te considères comme une alliée non-grosse de la cause de la lutte à la grossophobie ?

Je me considère comme une alliée, mais faut vérifier avec toi si j’en suis bel et bien une !

En tant que féministe, on s’est beaucoup posé la question qui était nos allié(e)s. Est-ce que nos allié(e)s sont à côté de nous ? Devant nous s’ils peuvent mieux porter la parole que nous ? Est-ce que le rôle des allié(e)s c’est d’être à l’avant, à côté, en arrière, en soutien ? C’est une bonne question que vous posez et c’est très intéressant qu’on se positionne comme ça et que vous permettiez à des gens de se positionner aussi comme allié(e)s. 

On a beau aussi être en situation de pouvoir, souvent, on n’a pas tous les pouvoirs de changement. Alors je ne suis pas à l’abri, de par ma fonction médiatique, de commettre un impair, d’avoir d’autres impératifs qui, dans mon métier, peuvent être problématiques à ce que mes bottines suivent mes babines !

Mais c’est vrai que je suis une allié(e), mais je ne suis pas à l’abri. On est dans les médias, on a beau être woke, on a beau être très sensible à beaucoup de choses. On a beau aussi être en situation de pouvoir, souvent, on n’a pas tous les pouvoirs de changement. Alors je ne suis pas à l’abri, de par ma fonction médiatique, de commettre un impair, d’avoir d’autres impératifs qui, dans mon métier, peuvent être problématiques à ce que mes bottines suivent mes babines ! Mais je dirais que de façon générale, je me considère vraiment, vraiment comme une alliée. Parce que j’écoute et je comprends et que je suis sensible. Et c’est beaucoup aussi une question de non-jugement de tous. J’aimerais penser que je suis une alliée des personnes grosses, mais j’aimerais aussi penser que je suis une alliée des personnes à mobilité réduite, des personnes de la diversité…

C’est tout à fait possible. Rien n’est mutuellement exclusif, là-dedans… *rires*

Faire attention à la réalité des autres, sortir le jugement de sa vie… ça fait partie des quelques petites clés pour devenir des allié(e)s ou pour appliquer le “mieux vivre ensemble” et le “être ensemble”. Alors oui, j’aimerais me considérer comme une alliée. 

D’après toi, c’est quoi le rôle des allié(e)s non-gros(ses) ? Où est-ce que les allié(e)s non-gros(ses) peuvent venir changer la donne ? Apporter quelque chose que les personnes qui sont dedans par-dessus la tête ne peuvent peut-être pas apporter ? Comment les allié(e)s peuvent faire une différence ? 

Je pense en fait que c’est premièrement de s’intéresser à cette question-là. S’y intéresser pour vrai. Lire sur le sujet. Accepter d’être confronté(e) dans nos préjugés, nos croyances. Accepter de poser un regard critique sur toute chose, incluant certains de nos systèmes qui privilégient les personnes qui sont dans un certain standard corporel ou un certain standard de beauté ou un certain standard de revenu, ou peu importe… Je pense qu’être ouvert et être éduqué, pour moi, c’est pas mal la base de toutes ces sensibilités là. De pouvoir référer à des gens qui peuvent répondre mieux que nous. 

Tu veux me parler de ça, et mon réflexe en temps normal aurait été de te dire que je ne peux pas te parler d’une situation que je connais pas. Mais tu as bien positionné l’affaire, ce qui fait que cette conversation-là est tout à fait adéquate et tout à fait acceptable et même souhaitable.

Se faire discret, se faire invisible, si on peut mettre de l’avant les personnes qui sont beaucoup plus concernées par la question et qui peuvent en parler beaucoup plus adéquatement : c’est une des responsabilités que moi, je me donne. Et si je n’étais pas humble devant la situation et devant mon apprentissage, j’aurais l’impression que je peux parler de ça à travers mon chapeau comme si je parlais de n’importe quoi d’autres. Mais je pense que c’est important de donner la parole aux bonnes personnes pour dire les bonnes affaires sur les bonnes tribunes.

Est-ce que tu crois qu’on va en voir le bout, de la grossophobie ? De notre vivant, disons ?

C’est une bonne question. C’est drôle, parce que j’avais cette conversation avec Mitsou il y a peut-être 10 ans. Il y avait eu une grande campagne avec le Clin d’Oeil, pour mettre la diversité sur les unes. Il y avait eu toutes sortes de variantes de corps différents et de femmes différentes… Et on s’était posées la question à l’époque: “Est-ce que ça va être une mode ou est-ce que ça va coller ?” Et, effectivement aujourd’hui, on voit une volonté, en tous cas de la part de certains, que cette représentation-là ne soit pas seulement dans des moments-clés de l’année, pour faire des coups de pubs, mais que ce soit une constante. 

Je sais qu’on a fait du chemin par rapport à il y a 10 ans. Je suis convaincue qu’on va continuer à faire du chemin parce que ça ne fait pas si longtemps que ça qu’on décloisonne cette idée que le surpoids* n’est pas nécessairement un problème de santé. Et qu’il y a des personnes rondes qui sont plus en santé que bien des personnes minces. On commence, nous, le commun des mortels qui est loin de cette problématique-là… Malgré qu’il y a de plus en plus de gens qui se rapprochent de cette problématique-là…

Il y a à peu près 58 à 60% des personnes qui sont considérées – et moi non plus je n’aime pas les termes – mais qui sont considérées, selon les chartes de l’IMC (l’indice de masse corporelle), en surpoids ou obèses. Donc on est RENDU(E)S la majorité.

Absolument. Donc je pense qu’il y a une amélioration. De toute évidence, il faudra mettre de l’avant ces visages-là et tout cette nouvelle réalité qu’on est en train de découvrir. Que la science est en train de découvrir. Que l’expérience de vie des gens est en train de révéler aussi, au grand jour. Alors moi, je peux juste espérer – et penser, quand même – qu’on va en voir le bout du bout !

Si tu avais un message doux, un message positif, un message d’espoir, à envoyer aux personnes qui vivent avec la grossophobie. Qui trouve ça difficile et qui se questionnent. Qu’est-ce que tu leur dirais ?

Je leur dirais qu’il y a beaucoup de dignité dans le refus de ce que l’autre dit ou pense ou voit. J’ai longtemps pensé qu’il fallait être docile en tout temps. Et accepter ce que les gens disent et que c’était leur droit. Je pense que dans la colère, dans le refus, dans le “non, ça ne se dit pas”, “non ça ne se fait pas”, “non ce regard-là que vous posez sur moi n’est pas adéquat, n’est pas acceptable”…

Mais je pense que ce qui peut-être libérateur, c’est le refus du jugement de l’autre. Et ça, je le souhaite à toutes les femmes de l’utiliser quand elles en ont la force et quand elles en ressentent le besoin. Et d’être indulgentes envers elles-mêmes, lorsqu’elles n’en ont pas la force et qu’elles se retournent et qu’elles ont de la peine et qu’elles ont été blessées. Je leur souhaite à la fois de l’indulgence pour vivre ces moments-là… et à la fois de la force pour envoyer promener la personne en face d’eux !

Pour mettre son pied à terre.

Pour mettre son pied à terre.


*Note : Pénélope a pris soin d’indiquer, avant l’entrevue, son inconfort avec le choix de termes médicaux pour parler des personnes vivant avec un poids élevé, considérant l’effet potentiellement stigmatisant de ces termes.


 

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À propos de l'auteur(trice)

Edith Bernier

Fondatrice de Grossophobie.ca - Infos & référence, conférencière et consultante, elle lutte activement contre la grossophobie depuis 2017. Elle a écrit sur les préoccupations des femmes taille plus en voyage (sur La Backpackeuse taille plus) pendant 6 ans.

Readers Comments (3)

  1. Superbe entrevue avec Pénélope! Je trouve qu’elle a répondu à des questions pertinentes de manière sensible et intelligente. Merci de cet exemple de personne alliée dans un contexte professionel des médias.

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  2. Belle entrevue! Merci pour cette découverte et cette ouverture!

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  3. Diane Lesage 22/11/PM @ 21:25

    L’émergence d’un mouvement collectif vers un changement de paradigme pour vaincre la grossophobie a besoin d’alliées-d’alliés pour se développer. Cette intéressante entrevue avec Pénélope McQuade est porteuse d’espoir. L’histoire démontre que les revendications des personnes noires, homosexuelles, autochtones ou d’autres identités sont davantage écoutées et soutenues quand des personnes éprises de justice réclame à leur côté que cessent les discriminations à leur égard. Il en sera de même envers nous les personnes grosses.
    Merci Édith de cette démarche.

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