Quand la crédibilité a un poids limite…

Depuis bientôt 2 semaines, une vague de dénonciations de comportements et d’agressions sexuelles déferle sur le web, particulièrement sur les réseaux sociaux. Des milliers de personnes – surtout des femmes – ont partagé leurs histoires. Des milliers d’autres ont répondu et partagé à grands coups de #OnVousCroit.

L’une des déclarations qui a le fait plus jaser est sans doute celle de Safia Nolin. Elle a dénoncé avoir été mordue à la cuisse dans un bar par une autre femme en 2018. Le geste aurait été posé par Maripier Morin, jusque-là une personnalité chouchou au Québec. (Morin a reconnu que l’événement avait eu lieu sur les médias sociaux.)


Deux poids, deux crédibilités

C’est là qu’on a pu constater de nouveau une tendance plutôt terrifiante. Ne pas correspondre aux standards de beauté en place et/ou être grosse est indicateur de la crédibilité et/ou de la sympathie qu’on prête aux personnes qui dénoncent des gestes répréhensibles. (C’est particulièrement le cas lorsqu’il s’agit de gestes à connotations sexuelles.)

De nombreux badauds accusent Safia Nolin de chercher la polémique ou encore la visibilité. Ou lui reproche de se poser en victime, toujours et encore, afin de faire parler d’elle. Ces raisons ne sont pas propres à la dénonciation formulée par Nolin. Mais d’autres motifs évoqués par la population afin de soulever le doute sur la crédibilité de Safia Nolin sont étroitement associées à son apparence. À ce qu’elle «représente».

En résumé ? Safia Nolin ne serait tout simplement pas assez belle pour être la victime d’un geste inapproprié à caractère sexuel. Personne ne peut la trouver assez séduisante pour avoir «envie» de l’agresser.


Rien de nouveau sous le soleil

En 2017, 3 femmes ont formulé des allégations contre le chanteur américain Usher. Leur reproche ? La star les aurait mises à risque d’être contaminées par le virus de l’herpès en étant lui-même porteur et en ayant des relations sexuelles avec elles sans les avoir prévenu. L’une des 3 plaignantes, Quantasia Sharpton, était une femme grosse. Et c’est celle des 3 dont on a le plus douté. On a sérieusement questionné ses motivations.

Pour soulever des doutes sur la crédibilité de Sharpton, on a évoqué son corps gros.  La majorité a aussi persisté à dire qu’un «beau» gars comme Usher n’aurait jamais eu  une relation sexuelle avec une femme jugée «si peu attirante», selon les normes de beauté actuelles.


Pas un cas isolé

Lorsque présenté ainsi, il apparaît presque obscène de croire que la beauté d’une personne pourrait faire d’elle une victime plus crédible.

Ou que la beauté rend un(e) potentiel(le) agresseur(euse) plus «pardonnable».

Pourtant, dans l’histoire Nolin-Morin, des propos et suppositions similaires ont été évoqués à de nombreuses reprises. (Sans compter les nombreuses personnes qui ont tourné à la blague l’incident allégué…)

D’un côté, on juge que Nolin ne serait pas «digne» d’agression parce que pas assez belle, attirante. etc.

De l’autre, Maripier Morin étant jugée séduisante, selon les normes actuelles, on minimise un geste inapproprié de nature sexuelle de sa part en le faisant paraître comme une faveur faite à la victime. Qu’à la place de Nolin, on n’aurait pas dit «non». Pire, qu’on en redemanderait.

* AVIS *
Les captures d’écrans qui suivent contiennent des propos qui pourraient être choquants ou blessants pour certaines personnes *

Note : les noms n’ont pas été cachés puisque tous les commentaires ont été formulés sous des publications et/ou des pages publiques.


L’agression sexuelle ne relève pas du désir

Dans un document de l’Organisation mondiale de la santé (OMS ; en anglais WHO – World Health Organization) intitulé «Guidelines for medico-legal care for victims of sexual violence», on évoque que le motif derrière les violences sexuelles ne relève pas principalement du désir sexuel. Il s’agirait plutôt d’un besoin de contrôle ou de domination.

«La violence sexuelle est un acte agressif. Les raisons sous-jacentes de plusieurs gestes sexuels violents sont le pouvoir et le contrôle et non pas une envie sexuelle, bien que cette dernière croyance soit fortement répandue.  Il s’agit rarement d’un crime passionnel. Il s’agit plutôt d’une action violente, agressive et hostile utilisée comme moyen de dégrader, dominer, humilier, terroriser et contrôler les femmes. L’hostilité, l’agression et/ou le sadisme dont fait preuve la personne qui pose le geste servent à nuire à la confiance en soi de la victime. La violence sexuelle affecte le sentiment d’intimité, de sécurité et de bien-être de la victime.

Des travaux effectués auprès des délinquant(e)s sexuel(le)s ont confirmé que la motivation derrière la violence sexuelle n’est pas le désir sexuel. Bien que la sexualité et l’agression soient impliquées dans toutes les formes de violences sexuelles, la sexualité n’est qu’un médium servant à exprimer différents types de sentiments non-sexuels comme la colère, l’hostilité à l’égard des femmes, ou encore comme le besoin de contrôler, dominer et imposer son pouvoir.» 1.


Des rappels cruciaux

Une «belle» personne qui agresse n’est pas moins coupable parce qu’elle est plus cute. Un geste inapproprié de nature sexuelle n’est pas moins grave – voire agréable – lorsqu’il est posé par une personne jugée «belle».

À l’opposé, une victime d’agression jugée «moins belle» ne mérite pas moins de soutien parce qu’on ne la trouve pas attirante. Elle n’est pas non plus moins marquée par ce qui lui est arrivé.

La proportion de sympathie – ou d’outrage – témoigné à l’égard d’une personne ne doit jamais être justifiée par l’attirance ou la beauté que l’on «assigne» à cette personne.


Si vous avez besoin d’aide ou de conseils afin de dénoncer une agression sexuelle, vous pouvez consulter la page de Juripop qui offre des services juridiques gratuits confidentiels à toute personne qui un(e) allié(e) ou qui a vécu ou été témoin de harcèlement sexuel ou psychologique au travail ou de violences à caractère sexuel. (1-855-JURIPOP / 1-855-587-4767 – 8h à 20h – lun. au ven.)
Pour obtenir de l’aide urgente, contactez la ligne-ressource provinciale pour les victimes d’agression sexuelle sans frais au 1-888-933-9007.

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  1. Trad. libre de : «Sexual violence is an aggressive act. The underlying factors in many sexually violent acts are power and control, not, as is widely perceived, a craving for sex. Rarely is it a crime of passion. It is rather a violent, aggressive and hostile act used as a means to degrade, dominate, humiliate, terrorize and control women. The hostility, aggression and/or sadism displayed by the perpetrator are intended to threaten the victim’s sense of self. Sexual violence violates a victim’s sense of privacy, safety and well-being (19, 30).
    Work with sexual offenders has confirmed that the motivating factor for sexual violence is not sexual desire. Although sexuality and aggression are involved in all forms of sexual violence, sex is merely the medium used to express various types of non-sexual feelings such as anger and hostility towards women, as well as a need to control, dominate and assert power over them.»

    Source : chapitre 2, section 2.4 – Guidelines for medico-legal care for victims of sexual violence, World Health Organization, 2003.

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À propos de l'auteur(trice)

Edith Bernier

Fondatrice de Grossophobie.ca - Infos & référence, conférencière et consultante, elle lutte activement contre la grossophobie depuis 2017. Elle a écrit sur les préoccupations des femmes taille plus en voyage (sur La Backpackeuse taille plus) pendant 6 ans.

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